La roulotte de Célia Caumont

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« Monsieur le Maire, il faut que je vous parle de quelque chose ». Autour d’une bière, un dimanche, Célia Caumont brave sa timidité. Alain Camsusou écoute. Dans sa tête il fait le tour du village, en quête du bon emplacement. Six mois plus tard, la roulotte en bois ouvre au public. Les curieux affluent au carrefour qui mène au col de Marie Blanque. Ce jour-là l’électricité saute dans la commune, puis la tireuse de bière défaille. Pourtant, la jeune femme est soulagée : un rêve devient réalité.

Car avant le 18 avril, la jeune femme passe des nuits blanches à pétrir son idée. Le maire a prononcé le mot « chalet » ? Ce sera une roulotte. Sur Internet on trouve des modèles fabriqués dans le Jura ? Célia Caumont file à Morlanne, au nord de Pau, là où un ex-agriculteur crée des structures en bois sur mesure. Et à la place des fenêtres standards, ce seront deux vitraux de douze carreaux chacun. Avec une amie la jeune femme va repeindre les toilettes municipales - situées juste à côté - pour que les clients reviennent avec le sourire. Outre bière et café il y aura de quoi manger : assiettes de charcuterie et fromage béarnais (salé) ; crêpes au chocolat ou au miel (sucré). Mais voilà qu’Eric Estrade, un habitant d’Escot, frappe à la porte, lampe à la main.

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Alors la roulotte dotée de deux tables pour huit convives, une bibliothèque, un bar, un coin cuisine devient un lieu d’exposition. Les lampes d’Eric éclairent les bijoux de Kaly (Lourdios-Ichère), puis les vestes en laine de mouton mérinos de Gwendoline Ribeyron. Et si un client ouvre l’œil sur les rayonnages, alors il découvre un roman de Bernard Werber, un autre de Laurent Gounelle. Deux livres que Célia Caumont a dévorés lors d’une séquence qui a changé sa vie.

Car sous la roulotte, il y a quinze ans d’une histoire à rebondissements : celle de Célia Caumont, de Paris à Escot via Bayonne. Avec délicatesse, traversons le sourire parfois forcé d’une jeune femme d’apparence frêle mais qui en a dans la chaussure. À vingt ans, la violoniste donne des cours dans un conservatoire d’Île-de-France. Par vocation ? En réalité, toute une famille de musiciens l’a poussée dans le couloir de la musique classique, jusqu’à la jucher à huit ans dans le grand salon : les amis sont priés d’applaudir le futur prodige. Mais un soir, dans le RER, à 21 ans, Célia Caumont est témoin d’une agression. Alors cette passionnée d’histoire contemporaine a une intuition : « Dans la vie, j’ai autre chose à faire avec mes mains ».

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Et tandis que sa grand-mère la félicite d'avoir reculé dans le RER pour « protéger tes mains d’artiste », la musicienne cherche un cours de boxe à Paris. En fait ce sera le krav-maga : Célia Caumont a envie de se défendre et de défendre autrui, pas de perdre ou de gagner. Trois heures chaque soir, elle prend des bleus puis se retourne un doigt. Fin du violon. La sportive s’entraîne dur, d’abord entre femmes, puis en cours mixte quitte à affronter des gabarits. Quatre ans plus tard, elle obtient un diplôme puis enseigne à son tour la discipline après un stage en Israël. Enseigner, mais où ? À Paris ?

Scène de RER dans la tête, Célia Caumont grimpe dans sa Ford Fiesta, cap sur le Pays basque. À Biarritz, elle se forme à une technique d’entretien corporel méconnue en France : l’entraînement fonctionnel. Ni gym, ni fitness, la méthode aide le corps à prévenir les blessures par un travail sur les muscles profonds (1). Dans une salle de sport le directeur lui donne carte blanche, d’autant que la clientèle afflue : une heure d’entraînement fonctionnel, c’est plus utile et varié qu’un cours de step. En parallèle Célia Caumont se perfectionne au krav-maga, mais pas n’importe où : dans une enceinte de la Défense nationale. Ouvert aux non-militaires, le cours plonge une jeune femme de 29 ans dans un milieu d’hommes « mais non sexiste », insiste-t-elle. Alors elle a une idée.

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Aux victimes d'accidents du travail, elle donne des cours d’entraînement fonctionnel. Parmi eux il y a des blessés de guerre en convalescence. Célia Caumont se souvient de cours « extraordinaires, durs, émouvants » à Bayonne. Car elle fait face à des corps meurtris, parfois en désespérance, quand le combat fauche des hommes prêts à risquer leur vie par amour pour leur pays. Mais un autre adversaire surgit en 2020 : le Covid-19.

Et quand la salle de sport rouvre un ans plus tard, l'établissement a changé de nom. Le nouveau directeur entend faire du profit : en cours collectifs, il remplace les professeurs par des vidéos. Fin des conseils sur-mesure de Célia Caumont : les clients font du fitness, l'œil rivé sur un écran.

À ce souvenir, une pédagogue du corps garde le silence. Elle médite en faisant cuire une crêpe au miel et à la chantilly dans sa roulotte toute neuve. Elle songe à ses journées de lectures non-stop pour digérer.

Mais entre Bayonne et Biarritz la jeune femme s’est liée avec un sportif professionnel, Kevin. Ensemble, ils imaginent ce que pourrait être leur vie d'après. Le couple a envie de nature, d’animaux, d’une certaine manière de prendre soin de soi et des autres. Autant Célia Caumont quitte le Pays basque en colère, autant elle se montre d’une douceur infinie pour convaincre René : à Escot, ce vieil Aspois n’arrive pas à lâcher sa maison de famille. D’apéro en apéro, et tandis que paissent les vaches à cinq kilomètres du col de Marie Blanque, les deux parties finissent par toper. Célia et Kevin emménagent en septembre 2022.

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Premier job en Vallée d’Aspe : factrice. Ou plutôt « rouleuse », celle qui remplace les collègues malades ou en vacances, d’Oloron à Urdos. D’une expérience de terrain naissent des rencontres, mais aussi un nouveau regard sur la vie. Célia Caumont apprend à dire « non » le jour où la direction lui tend un second contrat d’intérim. Dans sa voiture une femme pense à son voyage au Sénégal, puis à ses vacances en Bretagne, là où poussent des cafés-librairies, y compris en milieu rural. Soudain, « un oiseau se pose sur ma tête : et si j’en faisais autant en Haut-Béarn ? »

Alors dès que le conseil municipal d’Escot délibère en faveur du projet, Célia Caumont gravit des montagnes. Après le menuisier et le vitrailliste, il faut créer une bibliothèque et ses étagères avec du mélèze coupé par la scierie Arretteig. Il faut faire les brocantes pour trouver bar, tables, tabourets, coffre en bois. Il faut choisir les fournisseurs pour le pain, la charcuterie, le fromage, le miel, la bière. Il faut se déclarer à l’URSSAF, avoir l’eau et l’électricité, préparer l’inauguration. Et c’est ainsi que le 18 avril 2024, des ouvriers qui réparent une route entre Escot et Lurbe tapent sur un câble, puis plongent un village dans le noir. Les premiers clients s’en souviennent encore : une barmaid tout sourire – mais non sans ressource – leur fait découvrir une bière locale et artisanale en bouteille : la Braspe, fabriquée à Cette-Eygun.

Et Kevin dans tout ça ? Il prend sa retraite sportive dans quatre ans. En attendant, il fait des allers et retours en Vallée d’Aspe. En 2028, promis : à Escot, il devient ébéniste.

(1) L'entraînement fonctionnel a recours à des mouvements tantôt lents, tantôt puissants et rapides, pour travailler les muscles profonds.

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• La Taverne de Pyrène : roulotte et terrasse situées à Escot, sur le parking au carrefour vers le col de Marie Blanque.
• Roulotte avec 8 places à l’intérieur. Terrasse avec une trentaine de places à l’extérieur.
• Ouvert du mercredi au dimanche. Mercredi et jeudi de 8 h à 18 h. Vendredi et samedi de 10 h à 22 h. Dimanche de 10 h à 17 h.
• Tél. 06 10 66 51 47. Il est conseillé d’appeler avant de venir car les horaires d’ouverture sont susceptibles d’évoluer selon la fréquentation touristique.

• Roulotte réalisée par Augustin Granel à Morlanne au nord de Pau et Orthez.
• Vitraux réalisés par Henri Chaudron à Asasp.
• Livres sur le Béarn et les Pyrénées écrits par des auteurs locaux en vente au café-librairie : Hubert Dutech, Dominique Aucher, Solène Holuigue...
• Expositions temporaires : lampes d’Eric Estrade, bijoux de Kaly, fleurs séchées et tisanes d’Élodie Ménard, vêtements de laine fabriqués avec un métier à tisser de Gwendoline Ribeyron…

• La Taverne de Pyrène fait dépôt de pain sur commande. Le pain au levain est fabriqué par Sylvie Sanchez à Arudy.
• La Taverne de Pyrène fait aussi librairie : livres sur place. Possibilité de passer commande puis de venir récupérer un livre neuf.

• La Taverne de Pyrène de Célia Caumont à Escot a sa Page Facebook.

• Quant aux toilettes publiques municipales à Escot, Célia Caumont a poncé le carrelage, préparé les murs avec un fond au rouleau, mais c'est son amie Élodie Guais, créatrice de fresques et de graffs, qui a peint les lieux, motifs compris.

* Page publiée le 29 avril 2024. Texte, photographies : Erik Brissot, Centre de bien-être Le Corps S'éveille. Tous droits réservés.